J.-P. Bastian et al. (éds), Les fractures protestantes en Suisse romande au XIXe siècle

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Titel
Les fractures protestantes en Suisse romande au XIXe siècle.


Herausgeber
Bastian, Jean-Pierre; Grosse, Christian; Scholl, Sarah
Erschienen
Genève 2021: Labor et fides
Anzahl Seiten
380 S.
von
Jean-Blaise Fellay

Cet ouvrage, rédigé par les meilleurs connaisseurs du dossier, traite un chapitre délicat de l’histoire du protestantisme romand. Une rupture interne, provoquée par le mouvement du Réveil, divise les communautés réformées entre Églises nationales et Églises libres. Cette division va provoquer la séparation Église-État au début du XX e siècle, marquer une étape dans l’individualisation de la religion, la progression de la diversité religieuse et le processus de sécularisation.

À Genève, le Réveil apparaît sous l’influence du piétisme allemand et des Frères moraves ainsi que sous l’effet de la prédication de laïcs anglais, propagandistes de la « réformation de la Réforme ». L’enseignement de la Faculté de théologie était devenu très rationnel et très libéral dans la ville de Calvin. L’abandon de la Confession Helvétique postérieure date de 1727 déjà ; elle s’est doublée de l’interdiction de prêcher sur la prédestination, la nature divine du Christ, les questions de la grâce, les thèmes fondamentaux du calvinisme. La liturgie apparaît à de nombreux participants froide et sans âme. Le théologien le plus en vue de la Faculté, Jean-Jacques-Caton Chenevière, érige la liberté de conscience et le libre-examen en valeurs centrales du protestantisme ; il craint par-dessus tout le retour de l’autoritarisme et du dogmatisme des anciennes confessions. La Compagnie des pasteurs, pensant calmer les esprits, interdit à nouveau d’aborder les sujets problématiques en chaire.

De jeunes pasteurs, comme César Malan, ont l’impression de ne plus pouvoir prêcher l’Évangile. Les dissidents commencent à réunir de petites assemblées en dehors du culte, puis fondent des oratoires et lancent même la création d’une Faculté de théologie. Elle attire des esprits avides de renouveau religieux. Des laïcs lancent des actions missionnaires et philanthropiques, comme la Croix-Rouge. Son fondateur, Henri Dunant, était un membre actif du Réveil. En 1831, est fondée la
Société évangélique de Genève.

La situation est d’autant plus critique que la population catholique devient majoritaire du fait des communes savoyardes et françaises rattachées au canton en 1815. Le gouvernement radical de James Fazy favorise la diversité religieuse, mais ensuite le Conseiller d’État Carteret opte pour une politique très protestante et pousse à la création d’une Église catholique nationale soumise à l’État. Il suscite une réaction des catholiques romains, unis derrière le cardinal Mermillod. Ils vont obtenir la séparation entre l’Église et l’État en 1907.

La situation est différente dans le canton de Vaud resté très majoritairement protestant (96 %). Il est « césaropapiste » (Olivier Meuwly) selon l’ecclésiologie de Zwingli, adoptée par les autorités bernoises en 1528: les magistrats civils possèdent la haute main sur la religion. Le parti radical reprend cette tradition. En 1845, le gouvernement rédige une nouvelle Constitution et demande aux pasteurs d’en lire le décret lors du culte. Ils sont plus de cent quarante à le refuser, ils sont mis à pied. Nommés et rémunérés par l’État, le gouvernement les considère comme des fonctionnaires tenus à l’obéissance de fonction. Cela renforce le Réveil, qui voit apparaître plusieurs communautés différentes, dont celle de l’ancien prêtre anglican John Darby. Un théologien brillant, Alexandre Vinet, en devient le porte-parole, il réclame la liberté pour l’Église et demande la séparation d’avec l’État. Figure majeure du radicalisme, le conseiller d’État Henri Druey lui fait face. Dans sa conception hégélienne de la société, il tient à la dimension spirituelle de l’État et à son contrôle du religieux. Une seule forme de culte est autorisée. Les partisans du Réveil sont qualifiés de « mômiers » et chahutés. En 1847, l’Église libre du Canton de Vaud se constitue et crée sa propre Faculté. La division des deux Églises protestantes vaudoises, la Nationale et la Libre, se maintiendra jusqu’en 1966.

Neuchâtel connaît une évolution semblable, mais voit l’apparition d’une personnalité plus clivante, Ferdinand Buisson, futur prix Nobel de la paix. Protestant d’origine française, il enseigne dans l’Académie de la ville. Il veut libérer le christianisme de tous ses éléments archaïques : mythes, mystères, miracles. Il publie une biographie de Sébastien Castellion, ami puis rival de Calvin, grand promoteur de la tolérance religieuse. Il est un partisan convaincu de la séparation Église-État. Il deviendra plus tard, à Paris, un acteur de la séparation de 1905 et l’organisateur de la laïcité scolaire française. Dans les années 1870, on est en effet très loin de la période « confessante » du Réveil. L’extension des droits démocratiques et de la liberté d’opinion a permis le développement d’une théologie très libérale : « Une Église, mais sans sacerdoce ; une religion, mais sans catéchisme ; un culte, mais sans mystère ; une morale, mais sans théologie ; un Dieu, mais sans système » (Ferdinand Buisson). Cela ébranle le rôle du pasteur et de l’Église et pousse les fidèles à réclamer la séparation de l’État radical. L’Église évangélique indépendante neuchâteloise naît en 1873.

Michael W. Bruening avait vu dans la rupture de 1559, entre les professeurs et pasteurs de Lausanne et leurs Excellences de Berne, la naissance du calvinisme dans sa dimension politique. Théodore de Bèze et Pierre Viret ne voulaient pas céder le droit d’excommunication et de définition de la doctrine aux seuls magistrats. C’était la dimension « papocésariste » du calvinisme genevois. C’est elle qui influença les puritains anglais et justifia la forte séparation Église-État de la Constitution américaine. À la différence de la laïcité française, elle visait à préserver la liberté des communautés religieuses face à la puissance politique. En effet, les calvinistes anglais s’opposaient à une monarchie britannique unissant l’autorité temporelle et religieuse dans la personne du roi. Le problème du protestantisme romand au XIXe siècle était celui de conserver un État-Église alors que la démocratisation politique devait admettre un pluralisme religieux provoqué par les ruptures ecclésiastiques et le brassage des populations. À Genève et à Neuchâtel, cela se fit sous la forme d’une rupture Église-État à la française, dans les autres cantons catholiques ou protestants sous différentes formes de reconnaissance mutuelle.

Zitierweise:
Fellay, Jean-Blaise: Rezension zu: Bastian, Jean-Pierre; Grosse, Christian; Scholl, Sarah (éds): Les fractures protestantes en Suisse romande au XIXe siècle, Genève 2021. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 130, 2022, p. 232-233.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 130, 2022, p. 232-233.

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